Madeleine Delbrêl (1920)

, par  JFR

Madeleine Delbrêl (1920)

Madeleine Delbrêl fut une femme étonnante. Originaire de la Dordogne, après une enfance et une jeunesse assez brillantes, elle rejeta la foi et fit profession d’athéisme à partir de l’âge de 15 ans. Elle se convertit quelques années plus tard, et mena dans la banlieue parisienne, avec quelques compagnes qui vinrent la rejoindre, une vie de sainteté au milieu de tout le monde, en contact constant avec des incroyants, collaborant avec eux dans son travail d’assistante sociale, témoin exceptionnel d’une vraie présence chrétienne dans la pâte humaine. Son procès de béatification est en cours.
Le texte qui suit est antérieur de peu à sa conversion. Il donne à réfléchir….


On a dit : « Dieu est mort. »
Puisque c’est vrai, il faut avoir le courage de ne plus vivre comme s’il vivait.
On a réglé la question pour lui ; il faut la régler pour nous.
Les révolutionnaires sont intéressants, mais ils ont mal compris la question. Ils peuvent bien emménager le monde au mieux : nous, il faudra toujours qu’on en déménage.
Les savants sont des gens méritants, mais ils sont un peu enfants. Ils croient toujours tuer la mort : ils tuent des manières de mourir. La mort, elle, se porte bien.
Les pacifistes ont du charme, mais ils sont faibles en calcul.
Tous les rescapés de 1918 seront en 1998 rangés dans leurs cimetières personnels. Même si on muselle la guerre, sur 100 hommes, il continuera à en mourir 100, c’est-à- dire 100%.
Ceux qui ont à faire le plus fort redressement intellectuel, c’est les amoureux. « Je t’aime pour toujours... »
Il faut qu’ils réalisent qu’ils seront infidèles par force. Leur infidélité approche chaque jour d’un jour.
Sans compter la vieillesse, cette mort à tempérament.
Moi, je ne veux pas rester près d’un homme que j’aimerai, qui verra tomber mes dents, mon menton pendre et mon corps tourner à l’outre ou à la figue sèche.
Si j’aime, ce sera de temps en temps, comme en sursis, à la sauvette. Et les mères, les pauvres, elles n’arriveront jamais a comprendre
« Mon petit, je voudrais tant qu’il soit heureux ». On ne pourra jamais les empêcher d’inventer le bonheur pour pouvoir le donner à leurs gosses.
Il y a bien celles qui ne veulent pas faire « de la chair à canon ». Mais allez leur faire comprendre qu’elles ne pourront faire que de la chair à mourir.
Moi, je n’en veux pas, des enfants. C’est assez que je suive tous les jours d’avance l’enterrement de mes parents...
Ah non, elle n’est pas liquidée, la succession de Dieu ! Il a laissé partout des hypothèques d’éternité, de puissance d’âme...
Et qui a hérité ?...C’est la mort.
Il durait : il n’y a plus qu’elle qui dure ; il pouvait tout : elle vient à bout de tout et de tous. Il était esprit. Je ne sais pas trop ce que c’est, mais elle, elle est partout, invisible, et, toc, il suffit d’un petit coup qu’elle porte ici ou là pour que l’amour s’arrête d’aimer, la pensée de penser, qu’il n’y ait plus rien.
On est tous tout près du même malheur, est-ce que, oui ou non, on aura le cran de le dire ? Le dire ? Mais avec quoi ? Les mots même Dieu les a esquintés… Peut-on dire à un mourant sans manquer de tact « Bonjour » ou « Bonsoir » ?
Alors on lui dit « Au revoir », ou « Adieu »...tant qu’on n’aura pas appris comment dire « A nulle part »... « A rien du tout »...

Madeleine Delbrêl (1920)

Abbé Lucien Lachièze-Rey

Brèves Toutes les brèves

Soutenir par un don